Médiation et Audition de Police : les convergences !


Médiation et Audition de Police : les convergences !

C’est en écoutant une interview de Julie Courvoisier, docteure en criminologie et inspectrice scientifique de la police judicaire cantonale en Suisse, interrogée sur son livre « L’audition de Police » qu’il nous est apparu évident d’exposer le parallèle que l’on peut faire avec la médiation.

Son ouvrage traite principalement du protocole d’audition du NICHD (National Institute of Child Health and Human Development) qui a pour vocation de recueillir dans les meilleures conditions le témoignage des enfants témoins et victimes.

Ses propos sur son vécu, centré sur le récit et le respect des personnes « auditionnées », ont immédiatement résonné en notre esprit de médiateur. Il nous a suffi de traduire les rôles : le pendant de l’enquêteur ou de l’inspecteur est le médiateur, celui de l’audition ou de l’interrogatoire est la médiation et celui de la victime ou du témoin est le médié !

Alors que nous l’avons directement contactée, Julie Courvoisier nous a autorisés, et même encouragés, à la citer et à reprendre des passages de son livre.

Cadre et préparation

Le protocole d’audition, comme la médiation, commence par apaiser la scène de l’échange. L’objectif est identique : réduire la charge émotionnelle et rendre possible un récit précis.

L’auteure recommande « un cadre sécurisant et chaleureux » et un aménagement simple, sans mobilier qui crée des barrières symboliques, ajusté « à la sensibilité de la personne » avant d’entamer l’audition en précisant son déroulement. Elle insiste sur le fait qu’« il pourrait être tentant de passer outre certaines phases du protocole ou de les effectuer (trop) rapidement.»

Ces choix valent aussi pour la médiation qui prévoit d’entamer la réunion, une fois installés, en rappelant les principes du processus et ses nécessaires étapes.

Récit ouvert = Quoi ?

Le cœur de la convergence entre une audition et une médiation est de laisser venir l’histoire. L’auteure précise : « L’enquêteur va devoir (…) laisser raconter (…) selon sa propre logique et sans l’interrompre », permettant à l’enquêteur d’adapter son écoute à cette logique.

L’outil majeur mis à profit est l’écoute active qui consiste à « écouter sans interrompre (…) sans juger (…) et savoir encourager, reformuler et demander confirmation ». L’auteure indique que fréquemment « la principale source de suggestibilité (…) provient des questions posées » et que, contrairement à nos intuitions, « la plupart de nos questions sont plutôt fermées ».

L’accent est mis sur la nécessité de faire parler les protagonistes afin de connaitre tous les détails du contexte, « La formulation « parlez-moi plus de … » est la première formulation-type utilisée dans le protocole, nommée « invitation (…) ce qui signifie [qu’il] est invité à développer (« en dire plus ») un élément (« indice ») qu’il a mentionné. Ces invitations avec indices vont être utilisées à de nombreuses reprises lors de l’audition, avec pour avantage de ne pas être suggestives si elles sont bien utilisées. »

L’auteure rappelle que « les doubles questions, les questions à choix forcé ou multiple, les questions fermées oui/non, les opinions/déclarations, les questions tendancieuses ou suggestives » réduisent la qualité du récit et enferment l’échange dans une « vision tunnel ». Une synthèse neutre permet de « résumer les dires (…) de vérifier sa compréhension » avec une reformulation qui « ne risque pas d’être suggestive ».

Dans le processus de médiation, cette discipline évite les malentendus et consolide la confiance : on reprend les mots des personnes, on vérifie, on corrige si nécessaire, puis on décide ensemble ce qui peut et doit être retenu. Quand vient le temps de clarifier, le médiateur s’appuie sur ce qui a été dit, en n‘oubliant pas de le faire valider en une synthèse fidèle et si nécessaire corrigible par les parties.

Histoire dans son contexte : Pourquoi ?

Le protocole d’audition rappelle la nécessaire attention au vulnérabilités et au climat socio-émotionnel. Ainsi « La question du soutien de l’enquêteur amène aussi celle des émotions. Sur ce point, la pratique démontre que les émotions n’émergent pas toujours là où on les attend ». Cet aspect est plusieurs fois rappelé par l’auteure car « L’accent est aujourd’hui mis sur l’importance de laisser la personne auditionnée parler, de créer un lien de confiance avec elle et d’essayer de comprendre ses émotions et ses réactions ».

Au-delà des faits, l’auteure souligne ainsi le rôle des émotions et leur reconnaissance non interprétative pour consolider la confiance et libérer la parole. « Même [s’il] n’arrive pas à exprimer d’émotions ou de sentiments (…), il va inconsciemment intégrer le message que l’enquêteur s’y intéresse ». Cela pourra l’inciter par la suite à exprimer ce qu’il a pu ressentir ou du moins à essayer de le faire.

La médiation partage ce principe, cette étape étant présentée comme devant permettre d’aller au-delà de l’histoire du conflit pour dégager les motivations profondes et les véritables besoins facilitant l’aboutissement à une reconnaissance mutuelle entre médiés (nécessaire avant la phase de travail sur les solutions).

Conclusion

Le travail de Julie Courvoisier offre à la médiation une inspiration sûre puisque nous y avons retrouvé la plupart des concepts qui dirigent le métier de médiateur. C’est là que les codes déontologiques français et européens rejoignent la pratique : impartialité, indépendance, confidentialité, consentement éclairé à chaque étape.

L’auteure rappelle qu’un bon entretien n’a rien de spectaculaire : il est patient, rigoureux, fidèle aux mots des personnes. Ce sont ces qualités humaines d’ouverture d’esprit, de non-jugement et de respect mutuel qu’elle place au centre de son travail et qui orientent chaque étape d’une audition. La passerelle existe donc bien entre nos deux univers avec la prérogative qui est la liberté de chacun de comprendre, de décider et d’avancer.

Reste la ligne rouge, nette. La médiation n’importe pas les tactiques d’enquête avec ses mises en contradiction stratégique et de présentation d’informations surprises. Le médiateur n’est pas un enquêteur n’attribuant ni tort ni raison. Son rôle est de protéger l’équilibre entre les médiés et de favorise un dialogue utile.


Violaine Jaccottet Sherif
Maxime Hacot

Julie Courvoisier : « L’audition de police » - Éditions Favre, 2025. Extraits en italique reproduits avec l’accord de l’auteure.


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