Médiation Concorde
Violaine Jaccottet Sherif
Médiation Concorde
Violaine Jaccottet Sherif

Les différences essentielles entre jugement et médiation


1. Les parties

Le jugement est rendu entre les parties demanderesse(s) et défenderesse(s) et le cas échéant, contre d’éventuels appelés en cause qui deviendront eux aussi, des défendeurs et ce, à l’exclusion de toute autre partie.

En médiation, le médiateur qui se rend compte que le conflit ne divise pas exclusivement les médiés assis en face de lui, peut inviter d’autres personnes à participer à la médiation pour une vision globale du conflit et dès lors un règlement tout aussi global. Cette analyse « systémique » du conflit peut être définie par les cinq concepts suivants :

  • Les phénomènes isolés n’existent pas.
  • Tout phénomène doit être considéré comme étant en interaction avec d’autres phénomènes.
  • Un phénomène n’est compréhensible que replacé dans un ensemble qu’il convient de délimiter.
  • Chaque phénomène est pris dans un jeu complexe d’implications mutuelles d’actions et de rétroactions.
  • Chaque phénomène est à la fois autonome et contraint, organisé et organisateur, informant et informé.
  • Chaque système d’interaction a ses propres règles de fonctionnement qui constitue une force propre de reproduction.

Par exemple, il est inutile de chercher à régler un conflit entre deux employés subalternes alors que leur chef direct tire profit de leur mésentente (dénonciation mutuelle, qualité du travail pour se montrer ostensiblement le meilleur, …). Dans ce cas, le médiateur peut inviter le chef direct à la médiation afin qu’une solution systémique soit trouvée. 

2. Le langage

Les termes employés dans l’acte d’ouverture d’action (exercice d’un droit en justice) sont ceux qu’impose la loi sur laquelle se fonde l’action et le code de procédure applicable au domaine. Invariablement, le vocabulaire utilisé à l’encontre de la partie adverse (qui porte bien son nom) sera accusateur, critique, négatif et plus ou moins blessant, suivant l’encre dans laquelle l’avocat aura trempé sa plume. Il n’a pourtant pas d’autre alternative pour prouver un acte illicite, un dol, une inexécution du contrat ; le vocabulaire doit être violent pour montrer la faute de l’autre. Tout doit être négatif dans une demande adressée à un tribunal et tout ce qui aura pu être positif dans la relation juridique des parties et purement et simplement occulté. On ne peut que constater l’absence d’évolution des mentalités judiciaires lorsqu’on lit Jean A. Mirimanoff : « Le droit orienta pendant deux millénaires les Romains et leurs héritiers vers le combat judiciaire. Vers la procédure, dont le caractère guerrier apparaît nettement… L’approche binaire, réductrice et manichéenne du système qui oppose le juste à l’injuste, le vrai au faux, le bien au mal – qui imprègne encore si profondément notre culture judiciaire – ne permet pas de saisir le conflit dans son ensemble et dans sa complexité. » Béatrice Blohorn-Brenneur écrit : « Saisir un tribunal est conçu comme une déclaration de guerre, preuve en est la terminologie juridique : Il y a celui qui « gagne », celui qui « perd », celui qui « est condamné »…. On « attaque en justice », on « traîne son adversaire devant les tribunaux… ». L’avocat et le juge se plient à ce jeu guerrier. L’avocat qui refuse, dans l’intérêt de son client, d’entrer dans l’hostilité peut se voir préférer un confrère plus belliqueux.

Par contre, comme le relève Jacqueline Morineau, le langage utilisé en médiation n’est pas celui de l’attaque et de la critique, mais bien celui de l’expression de ce que l’on a ressenti lorsqu’on a été victime de concurrence déloyale, lorsqu’on a été harcelé par un employeur, lorsque la maison dont la construction a englouti toutes vos économies commence à se lézarder. La médiation est un apprentissage à dire « je sens » et à exprimer son ressenti. Le travail du médiateur consiste à amener chacun, au début de la médiation, à exprimer comment il a vécu le conflit et par là, être réceptif au vécu de l’autre. La médiation est la fille légitime de Marshall Rosenberg. C’est en effet lui qui a conçu la « communication non-violente », méthode générant entre les personnes des relations fondées sur l’empathie, la compassion, la coopération harmonieuse et le respect de soi et des autres. Sa méthode a été conçue comme outil principalement verbal permettant de résoudre les conflits. En cette matière, on peut renverser le titre de l’ouvrage de Thomas d’Ansembourg. En effet, ça n’est pas en justice que les demandeurs ou les défendeurs sont « gentils ». En revanche, c’est bien en médiation qu’ils sont vrais. Béatrice Blohorn-Brenneur a abandonné la justice pour la médiation notamment en raison des dégâts que peut provoquer le langage judiciaire et elle exprime la différence suivante : « On est entré dans le jeu du « gagner contre l’autre » et non du « gagner avec l’autre » qui pourtant serait une issue possible. »

3. Les conclusions

Le jugement ne traitera que des conclusions (prétentions formulées en justice) principales ou subsidiaires déposées par le demandeur ainsi que des conclusions reconventionnelles des défendeurs, à l’exclusion de tout autre sujet, une règle impérative interdisant au juge de statuer ultra petita (attribuer plus que ce qui est demandé) ou extra petita (sans rapport avec la demande). Or, souvent, les conclusions sont l’expression maladroite de la demande réelle du demandeur, parce qu’il est obligé de traduire souvent des émotions, des sentiments, des espérances, en termes exclusivement juridiques afin de coller à l’article X du code Y sur lequel il doit impérativement fonder ses conclusions au risque d’essuyer un échec judiciaire cuisant. Il y a pire, car les conclusions basées sur le droit ne permettent pas la finesse exigée par chaque cas. Prenons l’exemple de l’orange qui est réclamée en justice et par la partie A et par la partie B alors que si elles avaient pris la peine de définir leur désaccord, rappeler pourquoi elles avaient besoin l’une et l’autre de l’orange, elles se seraient rendu compte que pour l’une le jus suffisait et pour l’autre, le zeste suffisait. On n’imagine pourtant pas un avocat prenant comme conclusion celle d’obtenir la peau d’une orange ! Comme le relève Jean A. Mirimanoff « Sur le plan judiciaire, les parties et le juge vont focaliser leur attention sur « l’objet du litige » déterminé par un état de faits présélectionnés, une analyse juridique et des conclusions, lesquelles cadrent le champ d’activités du juge. Sont considérés comme juridiquement non pertinents les sentiments, les émotions, les valeurs, les besoins et les intérêts des parties, qui constituent la partie immergée de l’iceberg, l’objet du litige en étant la partie émergente. » Pour le juge, il y un conflit lorsque l’article X a été violé. Pour lui, conflit est synonyme de violation du droit. C’est cette dernière qui en est la source.

A l’inverse du juge, le médiateur n’est pas lié par les éléments du conflit tels qu’ils sont livrés de prime abord et il peut approfondir jusqu’à découvrir le vrai problème, ce qui amènera les médiés à trouver une vraie solution. Thomas Fiutak illustre ce qui précède en faisant la distinction entre conflit et litige : « Le litige est l’expression du comportement bloquant entre des personnes qui s’opposent plus ou moins violemment. C’est en général le révélateur d’un conflit plus profond, la partie immergée de l’iceberg. » Pour le médiateur, la source du conflit n’est ni dans la violation du droit, ni dans les faits immédiats et flagrants qui lui sont exposés mais dans l’histoire de l’entreprise, dans les relations commerciales passées, dans de vieilles querelles familiales qui éclatent au moment du décès du patriarche… On est frappé dans beaucoup de procès, par ce que Jacqueline Morineau appelle le « décalage entre la futilité des faits et la violence du conflit ». Comment l’ombre d’un arbre sur quelques mètres carrés pendant quelques heures par jour, les rares journées de soleil, peut-elle déchaîner des violences exprimées devant les tribunaux pendant des années ? Comment les règlements de copropriété ou de location génèrent-ils une surcharge des tribunaux civils et pénaux dès que l’on aborde la question du partage des buanderies et autres locaux communs ? Le médiateur, en faisant parler les médiés parviendra certainement à leur faire comprendre que l’ombre n’est qu’un prétexte. Il y a un conflit aujourd’hui parce qu’une rancœur ancienne mal pansée resurgit. Il y a saisine d’un tribunal parce qu’une jalousie sur un sujet bien plus important que celui traduisible en termes juridiques n’a jamais pu être exprimée. Souvent le prétexte à l'action judiciaire est futile parce que dans tel conflit il est seul capable d'être résolu par un jugement appuyé par conclusions juridiques.

Les médiateurs qui font état de leurs expériences citent fréquemment des accords rédigés à la suite d’une médiation qui octroient au justiciable demandeur des prestations plus élevées que celles figurant au pied de sa demande initiale. C’est le fruit du travail du médiateur qui a su amener les médiés à reprendre le dialogue et à faire renaître entre eux une relation professionnelle ou financière aux termes de laquelle leurs besoins sont satisfaits. La conclusion de base devient non seulement acceptable mais trop modeste pour celui qui s’y opposait en justice.

L’oreille du médiateur qui reste à l’écoute d’un éventuel problème collatéral non juridique permet aux parties de s’y intéresser et de trouver une solution ultra petita ou extra petita. Contrairement au jugement qui permet de résoudre le litige, la médiation résoudra le conflit dans sa globalité.

4. Impartialité / Multi-partialité

Le jugement est rendu par un juge qui, par définition, doit d’être impartial. Il ne retient que la vérité qui s’impose à lui grâce aux preuves évaluées impartialement, en s’appuyant sur le droit.

Le médiateur, lui, est « multi-partial ». Il admet l’existence de deux systèmes, entend deux positions et va inviter les médiés à se demander ce qu’on fait de ces deux systèmes, de ces deux thèses, de ces deux antithèses ferait-on mieux d’écrire. Le médiateur sert de miroir dans lequel chaque médié découvre la position de l’autre. Si le médiateur prend parti et pour l’un et pour l’autre, les médiés se rendent compte que les deux positions valent la peine de s’y attarder, ce qui est la première pierre de l’édifice. Le médiateur a confiance dans les deux médiés car il sait, comme le psychanalyste Jacques Lacan, que les personnes qui sont en face de lui sont des « sujets supposés savoir ». Dès lors leur deux « savoir » méritent que l’on s’y arrête dans une multi-partialité.

5. Procé-dure / Procé-douce

En étudiant les différences entre jugement et médiation, on ose transposer en faveur de notre thèse, le jeu de mots que fait Jacques Antoine Malarewicz qui oppose les procé-dures et les procé-molles. On préférera le terme de procé-douce ou procé-souple à celui de procé-molle.

La procédure peut être assimilée au jugement puisque pour l’auteur « Une procédure correspond à un ensemble d’informations, dans un ordre donné, utilisables dans un contexte donné, permettant la résolution d’un problème ou d’une situation plus ou moins difficile mais spécifique à ce contexte. ». Les parties n’ont pas la possibilité d’entrer ou de sortir de la procédure. Le juge gère la procédure qui est un ensemble de règles rigides et contraignantes. Il en résultera un jugement qui va stratifier un état de fait et va lui donner le titre de vérité judiciaire.

La procédure est donc en opposition à ce que l'auteur appelle la « procé-molle », à savoir des règles non préexistantes mais générées au gré des besoins du cas. C'est ce qu’il appelle le processus défini comme suit : « Le processus renvoie à un niveau supérieur à celui de la procédure, ce qu’on appelle un niveau « méta » : il s’agit, en quelque sorte, d’une procédure appliquée à une procédure ou encore, d’apprendre à utiliser une procédure, d’apprendre à apprendre, ce qu’on appelle encore le deutéro-apprentissage. »

Le travail en médiation consiste à pousser les médiés vers le changement d’attitude. Jacqueline Morineau le compare aux trois phases de la tragédie grecque, theoria, crisis et catharsis : « la médiation ne va pas se concentrer sur les faits mais elle va favoriser l’expression du non-dit derrière le dit. Elle ne va pas essayer de comprendre, de rationaliser les actes, puisque ces actes sont en partie inexplicables. Elle ne va pas s’appuyer sur un processus d’ordre logique mais sur l’unité d’un procédé qui permettra le développement de l’action. Ce processus, nous en trouvons la trame dans l’histoire du droit grec, dans la tragédie et dans la médiation. »

6. Regard sur le passé / Regard vers l'avenir

Le jugement est le reflet d’un fait historique pour lequel le juge recherche la solution qui aurait dû être donnée à l’époque. Il n’est pas rare que le problème n’existe plus ou que la solution donnée par le juge soit totalement inadaptée à l’évolution des choses, inadaptée et pour le demandeur et pour le défendeur, ce qui est un comble. Les règles de procédure en ce qui concerne les faits nouveaux (nova) ou les éventuelles augmentations de conclusions en cours d’instance, ne permettent que peu de flexibilité pour donner vie à la solution donnée par le juge, souvent plusieurs années après l’éclatement du litige. En d'autres termes, la justice ne s’occupe que du problème qui lui est soumis. Elle ne prend pas en compte le temps qui passe, les nouvelles situations, les nouveaux rapports, les intérêts des parties qui ont évolué. Le juge ne connaît que les faits du passé et ne s’intéresse guère au présent. Un jugement est un arrêt sur image passée.

La médiation en revanche est une vidéo constamment réactualisée. Le médiateur va pouvoir écouter les médiés non seulement sur le conflit « historique » mais également sur l’évolution de ce conflit. Si cette évolution a été positive, il suffira alors de suivre cette évolution comme un éventuel chemin vers la paix. Si l’évolution a été négative, la médiation permettra une purge efficace du conflit au jour de la signature de l’accord.

A l’occasion de l’exécution des décisions judiciaires, les avantages de la médiation éclatent encore plus. Comme il s’agit d’une solution de convivialité, d’un accord librement élaboré et accepté entraînant la satisfaction, pour autant que faire se peut des besoins de chacun, l’exécution est garantie. A fortiori si le médiateur a pris la peine de préciser que s’il devait y avoir un quelconque problème lors de l’exécution de l’accord, il y aurait lieu de revenir à la médiation.

7. Confidentialité

L’audience est publique et se déroule dans le respect du sacro-saint principe judiciaire du contradictoire. Le jugement pourra être montré par l’une et l’autre des parties à qui bon lui semble, voire même à la presse. On connaît les drames provoqués pour certaines entreprises par des audiences publiques, des jugements publiés et par le tapage médiatique qui peut en résulter. A l’intérieur de l’entreprise, un procès et un jugement, qui alimentent les conversations de la cafeteria, peuvent être dévastateurs.

L’accord que la médiation aura permis de trouver, dans un climat apaisé, restera un accord confidentiel, confidentialité qui s’étend tant aux propos tenus qu’aux documents transmis et qu’aux termes de l’accord. Adélaïde Toussaint écrit : « La médiation pose comme priorité cette protection du secret…. La confidentialité s’étend à l’ensemble des participants de la médiation, les parties ET le médiateur, et ce, vis-à-vis de tous tiers extérieurs. Par cette confidentialité, les parties parviennent à échanger plus d’informations entre elles, via l’entremise du médiateur. La médiation renoue avec le souci de se dire la vérité en privé, de la dire à ceux qui souffriraient le plus de son manque, et qui veulent l’entendre dire pour parvenir à tourner la page et avancer vers une solution. La parole de l’un encourage la parole de l’autre, et la médiation apporte son évidence tout doucement, le « confidence pour confidence ». Le médiateur s’engage à la confidentialité pour lui-même, mais il invite les parties à cette même confidentialité au sein même du lieu de médiation. Les déclarations faites ne pourront en aucun cas être utilisées en justice en cas d’échec de la médiation (ou tout du moins sans l’accord des parties au préalable).» Précisons encore qu’en médiation, les parties peuvent convenir entre elles de ce qui sera dit à l’extérieur. Un communiqué de presse peut être rédigé d'entente entre les médiés.

Seule la médiation est à même de respecter, dans les conflits intra-entreprise ou inter-entreprises, la confidentialité. Dans le monde économique, on ne peut pas dire que la parole est d’argent mais bien que le silence est d’or, voire vaut de l’or.

8. Doute destructeur / Doute constructeur

C’est notamment la notion de doute destructeur qui a amené Béatrice Blohorn-Brenneur à abandonner son poste de Juge de chambre sociale de la Cour d’appel de Grenoble, pour devenir Secrétaire générale et co-fondatrice du Groupement européen des Magistrats pour la Médiation (GEMME). Dans un chapitre intitulé «Désarroi du juge», elle parle longuement du doute et de « ce jeu de pile ou face » auquel est parfois confronté le juge et qui peut confiner à la torture. Un jugement rendu au bénéfice du doute est également destructeur pour le justiciable parce que ses preuves n’auront pas permis au juge d’acquérir la certitude que sa version est l’expression de la vérité. Le doute induit clairement celle d’hésitation jusqu’au dernier moment. Même la partie qui a gagné son procès au bénéfice du doute ne connaîtra pas la même satisfaction que celui qui voit sa version consacrée par un juge, sans qu’il y ait place pour le doute. Comme mentionné dans le livre « le conventionnel et le juridictionnel dans le règlement des différends», le fait que notre « fin de siècle » soit soumise à des « tensions permanentes », ne permet plus au justiciable de se contenter d’un jugement appliquant des règles abstraites, et qui plus est au bénéfice du doute donc loin de toutes certitudes.

A l'inverse, dans le cadre d’une médiation, le doute peut avoir un rôle positif. En effet, si les médiés arrivent invariablement en médiation avec l’impression qu’ils ont raison et que l’autre a tort, le doute va peu à peu s’installer. Le médiateur comprend alors que le chemin de l'accord vient d'être pris. Le doute ébranle en effet le bien-fondé de leur version, comme expression de la vérité. Le doute va générer une évolution, donc des solutions, d’où l’emploi du terme « doute constructeur ». Comme l’écrit Georgio Malinverni : « En effet, le règlement judiciaire ou arbitral, dont le propre est d’assurer le triomphe et la primauté du droit, ne laisse pas beaucoup de place aux solutions constructives ». La médiation « permet à chacun de comprendre « où le bât blesse » et de nommer les priorités. Quand on a déterminé ce qui est important pour soi, sur quoi l’autre ne cèdera pas, on peut abandonner son point de vue négatif pour le remplacer par une œuvre constructive. »

9. Dégâts psychologiques / Ouverture psychologique

Pour Béatrice Blohorn-Brenneur, le procès exacerbe de la haine. Par exemple, dans l’entreprise, « du désarroi du juge au traumatisme vécu par le salarié, en passant par l’écœurement de l’employeur, la tension monte. Quelles réponses l’institution judiciaire peut-elle donner ? » Pour l’auteure, il n’y a pas de solution dans une logique binaire où l’un a raison, l’autre a tort. Les dégâts psychologiques d’un jugement sont souvent importants en raison de la désécurisation qu’il entraine. Pourtant, le besoin de sécurité matérielle fait partie des besoins primaires et fondamentaux de l’individu pour sa survie, comme manger, boire et dormir ; le justiciable - lors d’un procès - se sent rejeté et humilié, à tout le moins par les propos de l’avocat de la partie adverse. Les dégâts psychologiques engendrés par la durée d’un procès, les humiliations subies en cours de procédure et la notification d’un jugement vous donnant tort, sont irréversibles. ils échappent au monde judiciaire qui néanmoins les a suscités. Pour une question de procédure, de délai, de preuve ou d’erreur de l’avocat… il est possible qu’un juge donne raison à celui qui néanmoins humainement (ou même juridiquement s’il n’y avait pas eu l’erreur) aurait gagné son procès. On imagine les dégâts psychologiques sur la personne deux fois victime.

En revanche, la médiation, même si elle n'aboutit pas, n’entraine aucun dégât psychologique. Elle aura permis une ouverture psychologique ne serait-ce que par la signature d'une convention de médiation, premier pas vers l'autre. Oscar Wilde a dit : « Il est impossible de rendre les gens bons par décret parlementaire ». On peut lui voler ses mots en écrivant : « Il est impossible de rendre les gens bons par jugement ». En revanche, celui qui aura amorcé un changement en acceptant le principe de la médiation, même en cas de non-aboutissement de cette dernière, connaîtra une ouverture psychologique, si ce n’est dans l’ « ici maintenant » à tout le moins dans un futur proche.

10. Les outils à disposition

L’outil à disposition du juge, qui rédige un jugement, est la procédure qu’il doit suivre. Moule, corset, carcan, la procédure doit lui permettre de dégager le droit qui s'appliquera à un état de fait tel qu’il résultera des preuves apportées par les parties, qu’il s’agisse de pièces, de témoignages, d’expertises, d'aveux….

Le médiateur a en revanche à sa disposition, un grand nombre d’outils. Selon sa personnalité, sa formation de base et sa sensibilité, il utilisera tel ou tel outil, les mélangera le cas échéant, pour réaliser sa propre recette du bon médiateur.

Au nombre des outils à disposition des médiés, on citera de façon exemplaire :

a. Les conditions d'accueil et d'apaisement

Le lieu et les conditions d’accueil sont importants car ils créent un espace pour un moment d’écoute au-delà des conflits. Les rituels renforcent le sentiment de sécurité, ce qui favorise l'ouverture. Dans la multi-partialité, on a vu que le médiateur sert de miroir où chaque médié voit l’histoire de l’autre se refléter. Si l’on garde l’image du miroir, on peut dire que les conditions d’accueil et la phase d’apaisement doivent permettre aux médiés de recevoir une image positive d’eux-mêmes. Pour Jacqueline Morineau, le miroir, le silence et l’humilité sont autant d’éléments indispensables aux conditions d’accueil et à la phase d’apaisement.

Thomas Fiutak a créé, à l'intention des médiateurs une roue, roue que les médiateurs appellent leur boussole. La médiation doit commencer par le quoi, qu'est-ce qui s'est passé. Il s'agit de l'exposé des faits, des évènements importants, des différents niveaux d'intérêt : s'agit-il d'obtenir justice, s'agit-il d'un impact psychologique ou s'agit-il de défendre des valeurs.

L’apaisement de chaque médié va entraîner l’apaisement entre eux. Cette phase est dès lors essentielle et elle n’est pas terminée tant qu’un des médiés continue à « chercher la bagarre », qu’il n’a pas trouvé l’apaisement en lui-même et n’a pas été rassuré dans sa dignité. Tant qu’un mot fait flamber la querelle, on n’est pas prêt pour aborder le conflit intersubjectif.

b. L'écoute et la reformulation

L'écoute est l'activité première du médiateur. De sa qualité dépendra le résultat de la médiation. Ecouter sans interpréter, écouter sans suggérer. Saisir les mots importants, l'expression d'un besoin, d'un sentiment, d'un ressenti. Ecouter c'est donner au médié le droit à son point de vue d'exister. Grâce à l'écoute, le médiateur peut détecter les intérêts essentiels et identifier les résistances au changement. L'écoute lui permet d'établir un diagnostic de la situation. L'écoute est au cœur de la médiation comme elle au cœur de la plupart des techniques de communication. C'est ainsi que se sont développés des concepts tels qu'empathie, écoute active, écoute non directive, écoute neutre, écoute bienveillante. Après l'écoute, le médiateur doit passer à la reformulation.

La reformulation telle que définie par Carl Rogers et G. Marion Kinget a pour but d’extraire du contenu communiqué le sentiment inhérent à ses paroles et à le lui communiquer sans le lui imposer. Elle permet de saisir les mots importants, de déceler l'expression d'un besoin, d'un sentiment, d'un vécu. Le médiateur s'assure ainsi qu'il a compris. Si c’est le cas, le médié pourra le confirmer ; si ça n’est pas le cas, le médiateur donnera au médié le droit d’avoir son point de vue puisqu’il pourra le répéter calmement. La reformulation joue un rôle pour aider chaque partie à appréhender autrement le conflit et entrevoir alors des issues occultées jusque-là. Grâce à l'écoute, le médiateur peut détecter les intérêts essentiels et identifier les résistances au changement. La reformulation donne accès aux raisons sous-jacentes, aux motivations profondes. Elle approfondit le registre de la communication. La parole va alors pouvoir circuler plus librement.

La relation se libère ; la pensée se précise, les idées circulent. Enfin, après l'écoute qui a permis au médiateur de détecter ce qui se cache derrière le conflit, après la reformulation qui a permis au médiateur de répercuter le ressenti de l'un chez l'autre, s'engage un processus spontané. Le médié comprend mieux son propre vécu, en l'ayant entendu après reformulation. Le médié prend aussi conscience du ressenti de l'autre par le même procédé. Il ose ainsi exprimer une autre idée, il reprend confiance dans sa position et surtout dans la relation à l'autre. Le médiateur est un magicien qui permet à chacun de retrouver en soi et en l'autre le meilleur grâce à l'écoute puis à la reformulation.

c. Le listing des compromis et des concessions possibles

Le médiateur a à sa disposition ce qui est appelé dans le jargon professionnel le BATNA (best alternative to a negociated agreement) qui permet de rechercher avec les médiés les meilleures solutions de rechange grâce à une écoute patiente et empathique. Lors de la médiation et plus particulièrement grâce à la reformulation, le médiateur peut dégager des mots, des idées, des évocations, qui servent d’échelle au médié pour atteindre un accord. C’est donc petit à petit, grâce aux points de convergences dégagés, que les échelons de l’échelle seront peu à peu gravis. Le BATNA est essentiel en médiation inter-entreprise puisque le but n’est pas tant de résoudre les conflits passés mais bien de sauver un avenir économique commun. L’évocation de la moindre piste est donc essentielle pour que l’autre partie puisse ajouter une idée dans laquelle, comme son prédécesseur, il fera un petit compromis et une petite concession.

Dans la roue de Fiutak c'est la troisième phase au cours de laquelle chacun invente des solutions pour la résolution du conflit en répondant à la question : «qu'est-ce qui est possible ? » laissant libre court à l'imaginaire et en envisageant toutes les options.

d. La programmation neuro-linguistique (PNL), l'analyse transactionnelle (AT), les préceptes de Rogers

Chacun de ces outils pourrait faire l’objet d’un mémoire et ils ne sont dès lors ici qu’évoqués. Ces outils techniques devraient être réservés à des médiateurs formés dans ce domaine spécifique et ils sont ici énumérés qu’à titre exemplaire.

Comme le résume Catherine Emmanuelle, la Programmation Neuro Linguistique (PNL), élaborée par Richard Bandler et John Grinder permet d’améliorer la communication entre individus, de clarifier les demandes et les besoins de chacun, de lever les croyances limitantes, de décrypter les prismes et filtres de toute communication, observer avec justesse le comportement verbal et non verbal de chacun et aider les personnes à acquérir les ressources nécessaires et suffisantes pour être pleinement actrices dans le processus de médiation.

L’analyse transactionnelle (AT) créée par Eric Berne propose un ensemble de techniques concrètes de communication, basées sur le fonctionnement psychique et les relations sociales. Dans le conflit inter-entreprises, elle peut être disséquée comme suit : Réalité : quelle est la situation, de quoi s’agit-il (qui, quoi, où, quand, comment, pourquoi, combien) ? Problème : écart entre la situation réelle et la situation souhaitée ? Diagnostic : quels sont les besoins et que faudrait-il faire pour les satisfaire ? Demande : quel est le résultat espéré ?

Les préceptes de Rogers peuvent être résumés en trois conditions essentielles :

- La première est l’authenticité (congruence) de l’aidant ; plus celui-ci est lui-même dans la relation, plus grandes sont les chances de permettre à son interlocuteur de changer et d’évoluer d’une façon positive ; l’aidant congruent est porteur du message qu’il est non seulement permis mais aussi désirable d’être soi-même ; il fait aussi preuve de transparence, se refusant à favoriser une image de supérieur, d’expert ou d’omniscient.

- La deuxième condition pour l’aidant est une acceptation totale de l’autre, une considération inconditionnellement positive, sans jugement ni condescendance.

La troisième condition est l’empathie ; en se mettant à la place de l’autre, l’aidant décèle les sentiments et les références personnelles de son interlocuteur ; lorsqu’une personne est ainsi profondément comprise, il lui est difficile de maintenir longtemps une position d’aliénation ou de séparation.


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