Médiation Concorde
Violaine Jaccottet Sherif
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Les défauts de la conciliation


1. Le moment de la conciliation préalable

Si la conciliation préalable est obligatoire avant toute ouverture d’action, il n’est pas excessif de dire qu’elle intervient soit beaucoup trop tôt, soit beaucoup trop tard. En effet, si les parties avaient été ouvertes à une conciliation, leurs avocats auraient pu trouver un terrain d’entente, en amont. Or, si l’une des parties a finalement pris la décision difficile, quelles que soient les circonstances, d’ouvrir action, c’est bien parce qu’à ce moment-là il n’y avait pas de solution amiable envisageable. S’il devait y avoir une évolution des mentalités, elle ne pourrait avoir lieu qu’au cours du procès ; il est évident qu’à l’audience de conciliation préalable, cette évolution n’a même pas pu avoir le temps d’être amorcée. Par ailleurs, la plupart des accords signés devant le juge ne sont pas le fruit d'un quelconque changement d’attitude. Ils sont passés pratiquement toujours par des personnes qui sont prêtes à lâcher prise parce qu’elles sont éreintées, et financièrement et psychiquement par la longueur du procès. Comment cet épuisement, qui est le seul justificatif d’un accord, pourrait-il se manifester déjà au stade de la conciliation préalable, période au cours de laquelle on part triomphant au combat avec ce que l'on croit être encore un trop-plein de munitions ?

En résumé, il ne peut y avoir d'accord réel faute d'évolution psychologique et il ne peut y avoir d'accord « contraint et forcé » faute d'épuisement psychologique et financier à ce stade de la procédure.

2. Le manque de temps

Si de nos jours la conciliation ne remplit plus le rôle qu’elle a pu jouer au sein des sociétés qui nous ont précédés, c’est peut-être en raison de la précipitation dans laquelle nous vivons. Le juge n’a pas le temps nécessaire à une conciliation en profondeur. Il n’a pas la possibilité de laisser à chacun le temps de réfléchir, de peser le pour et le contre. Il n'a pas lui-même l'opportunité de réfléchir à une solution novatrice ou réparatrice. Dans la précipitation, seul le conflit apparent est abordé. Il est trouvé un accord de surface qui ne purge en rien le différend qui divise les parties. Il manque à ces dernières le temps de réflexion pour qu’il puisse s’agir d’un accord réfléchi et non d’une simple solution déguisée en solution rationnelle qui ne peut être que provisoire. Cette solution ignore souvent les sentiments, les ressentis, les désirs surtout les besoins profonds des personnes.

Et que dire de la mascarade tendant à suspendre l'audience quelques instants pour permettre aux parties de « réfléchir » à la proposition du juge. Pendant ces quelques minutes, l'avocat doit convaincre son client que la solution préconisée par le juge est la « moins pire ». Là encore, le manque de temps est dramatique : ce moment qui devrait être celui de la réflexion et de l'évolution des attitudes est bâclé et il ne peut y avoir signature en toute connaissance de cause dans de pareilles circonstances.

3. La partialité du juge

Le juge conciliateur, dans les cas de conciliation préalable obligatoire, ne sera pas le même que celui qui jugera au fond. Lorsqu'il se présente en audience, il n’a pas apprécié les preuves, il n’a pas analysé le droit et il est donc autorisé à ne pas travailler comme un professionnel du droit. Sans cette carapace d’impartialité, il a immanquablement tendance à être séduit par une cause plutôt que par une autre ; il aura de la peine à cacher sa sympathie pour l’une des parties et son antipathie pour l’autre, comme tout être humain. Jean A. Mirimanoff et Sandra Vigneron-Maggio-Aprile mentionnent que la conciliation «consiste pour le magistrat à procéder à un examen prima facie du cas, à retenir par une appréciation anticipée des preuves les faits pertinents, à procéder à une analyse juridique du cas et à donner son conseil ou à livrer sa solution aux parties. La proposition du conciliateur dans ce cas se rapproche du jugement par sa démarche… L'estimation s'apparente souvent à un exercice de haute voltige, surtout si les faits sont contestés et ne découlent pas des pièces produites à l'audience.»

La conciliation menée par le juge du fond, en cours de procédure, laisse également apparaitre un juge sensible aux émotions et aux préjugés. Ces humeurs n’influencent certes pas l’avocat qui veut croire que jusqu’à la fin de sa plaidoirie, il peut influencer le juge en faveur de son client. En revanche, les phrases prononcées par le juge conciliateur ont un tout autre effet sur le justiciable. Pour ce dernier, les prises de position lors des tentatives de conciliation sont ressenties comme des préjugés. Même si le juge prend soin d'équilibrer ses propos, lorsqu'il s'agit de remarques négatives, elles sont ressenties comme des blessures personnelles.

Devant les commissions paritaires, ce sentiment de partialité est ressenti de façon particulièrement violente car, par exemple, le représentant des propriétaires, devant le Tribunal des Baux, ne peut s'empêcher, comme s'il se sentait investi d'une mission politique, de lancer des piques inutilement blessantes à l'adresse du locataire ; le représentant des travailleurs ne peut s'empêcher, lors de la conciliation, de réprimander l'employeur pour l'amener à accepter une conciliation. Ces remarques «politiquement correctes» pour celui qui les prononce, même si elles conduisent à un lâcher prise, laissent des blessures.

4. La non-confidentialité

Si les pourparlers transactionnels entre avocats sont confidentiels, tel n'est pas le cas de la conciliation devant le juge. L’audience est publique, les propositions ne sont soumises à aucun secret.

Cette non-confidentialité fausse le débat tant en ce qui concerne le lâcher prise (comment peut-on demander à un justiciable de faire un pas vers l'autre, devant le juge qui statuera …) qu'en ce qui concerne la recherche de solution, particulièrement dans le domaine commercial. Citons Béatrice Blohorn-Brenneur : « Pour avoir été franc devant le juge, on risque de se retrouver pénalisé... De même que les sommes proposées à titre de dommages-intérêts pour réparer le préjudice du salarié seront des invitations pour le juge s'il a, par la suite, à fixer le montant de l'indemnité. »

5. La négation du changement

Le juge conciliateur méconnait, faute de temps, les difficultés du changement. Dans son livre intitulé « Systémique et Entreprise », Jacques-Antoine Malarewicz montre qu’il n’y a pas de changement acceptable dans l’entreprise et dans le monde des affaires s’il n’y a pas une période d’adaptation. L’auteur relève que le changement est contraire à la nature humaine. Que l’on soit consultant en entreprise, conciliateur ou médiateur, on ne devrait jamais faire l’impasse des étapes indispensables au changement, la première étant précisément de faire reconnaître le besoin de changement. La deuxième étape sera de susciter le changement et la dernière étape, celle de reconnaître le changement. Or, le juge conciliateur confond livraison d’une solution et changement possible et acceptable. Il bloque un mouvement qui aurait dû s’inscrire dans le futur car « les solutions immédiates importent moins que l’anticipation des changements ultérieurs ». La conciliation fait sortir le justiciable de sa logique d’affrontement dans laquelle il est depuis l’ouverture du procès, sans préavis aucun. Il devient, malgré lui, acteur d’une conciliation qui ne correspond pas à son évolution psychologique. La conciliation peut être comparée à un emplâtre sur une jambe de bois ou encore à une plaie infectée recousue sans désinfectant. Elle n’est pas acceptée comme un bien mais au mieux comme un moindre mal.

D’aucuns emploient le terme de sœurs jumelles pour parler de la conciliation et de la médiation. On aurait plutôt tendance à parler de sœurs ennemies tant il est vrai que la conciliation à tout moment du procès ne permet presque jamais la signature d’un accord réfléchi et ne prévient en rien la récidive, contrairement à la médiation respectueuse de l’évolution de chacun et qui tend à une solution globale en profondeur.

6. La dignité non-retrouvée

Le juge conciliateur ne pratiquant pas les apartés, ses remarques quelque peu provocatrices en vue de susciter l'accord créent des blessures irréparables. En outre, - et c’est le plus important - la signature d'un accord ne permet pas aux protagonistes de retrouver leur dignité. Lorsqu’on parle de sensibilité heurtée et de dignité non retrouvée, il faut ici relever que les magistrats chargés de la conciliation n’ont, dans la plupart des cas, aucune formation en matière de gestion des conflits en Suisse et ce contrairement à la France qui oblige tous ses magistrats à suivre par année cinq jours de formation. Au nombre des sujets proposés figurent la gestion des conflits et la médiation. Une telle formation d’un juge conciliateur ne permettrait peut-être pas de retrouver la dignité mais en tout cas éviterait des blessures involontaires qui sont faites lors des audiences de conciliation.


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