Définition de trois modes de règlement des conflits
1. La conciliation
Les termes employés dans le présent Mémoire ne correspondent pas à ceux du langage courant dans lequel on confond conciliation, accord, arrangement, compromis, entente, médiation, transaction. Il y a même confusion entre conciliation et arbitrage, alors qu’il s’agit de deux types de règlement d’un conflit, diamétralement opposés l’un à l’autre. Dans le langage juridique, l’arbitrage doit en effet être défini comme une justice privée, organisée par des personnes ou des sociétés, soit contractuellement avant la survenance de tout litige, soit après un conflit, afin d’éviter les lenteurs éventuelles de la justice et d’organiser une procédure mieux adaptée au cas précis. Il n’en reste pas moins que l’arbitre travaillera comme un juge, appliquera le droit et rendra un jugement susceptible de recours ou non, suivant les modalités choisies par les « arbitrés ». Si l’on veut comparer l’arbitrage à une notion traitée plus loin, c’est à celle de jugement et non à celle de conciliation qu’il faudra le faire.
La conciliation peut se définir comme l’intervention d’un juge pour tenter de mettre d’accord les parties au procès. Il s’agit d’une démarche entreprise par le juge à un moment ou à un autre de la procédure, à la recherche d’une solution acceptée par ceux qui ont d’ores et déjà décidé de déférer leur conflit à la justice. Les Statuts du 8 octobre 2004 de Gemme-Suisse (Groupement Européen des Magistrats pour la Médiation) à leur article 4 alinéa 2, précisent que « Par conciliation il faut entendre (…) un mode informel de résolution des litiges, obligatoire ou facultatif, conduit par un conciliateur désigné et – magistrat – indépendant, neutre et impartial, mode au cours du déroulement duquel il peut suggérer ou proposer une solution aux parties si elles n’y sont pas parvenues elles-mêmes. » On retiendra cette définition plutôt que celle de Charles Jarrosson qui évoque une conciliation menée par les parties seules. Il s’agit là manifestement d’une négociation et non d’une conciliation, cette dernière impliquant l’intervention d’un tiers, précisément conciliateur.
Le juge tente toujours de concilier les parties. Soit parce qu’il s’agit d’une obligation procédurale, comme en droit suisse où un certain nombre d’actions ne peuvent être ouvertes sans être précédées d’une requête de conciliation préalable adressée à l’autorité compétente, soit parce que la loi invite le juge à tenter la conciliation entre parties tout au long du procès, soit parce que, spontanément, il en ressent le besoin. En chaque juge semblent sommeiller quelques gènes du juge par excellence, le roi Salomon. Les motivations du juge conciliateur sont respectables. En premier lieu, il a une vision humaniste de son métier. Il pense que s’il arrive à jeter un pont entre les parties, il aura supprimé un conflit, avec tout ce qu’il a de détestable et évité tous les dégâts que peut causer un jugement. Il est conscient que ce dernier ne sera pas forcément l’expression de la vérité mais le résultat des meilleures preuves apportées. Le juge conciliateur fait sienne la maxime : « Mieux vaut un bon accord qu’un mauvais jugement » ou sous une autre formulation : «Une bonne retraite est meilleure qu’une mauvaise résistance »... Le juge en voulant concilier, cherche aussi à transmettre son expérience et avertir les justiciables des désagréments et des coûts de ce qui est pour lui son quotidien, alors que, pour les parties en procès, l’expérience du tribunal est souvent, fort heureusement, unique dans une vie. L’intérêt personnel du juge conciliateur ne doit pas être écarté lorsqu’on cite ses motivations pour concilier : au vu de la surcharge de la Justice, il a un intérêt à pouvoir clore un dossier lors de la première audience.Quels qu’en soient les motifs, la conciliation est très importante pour un juge et il n’est pas rare que l’on entende, dans les couloirs du Palais de Justice, l’un ou l’autre s’enorgueillir de ses statistiques de procès se terminant par un accord, grâce à ses bons offices. Et le juge d’ajouter : « ma réussite est telle que je n’ai pas besoin de médiateur... ».
Le juge utilise différentes méthodes pour obtenir la conciliation. Il s’adresse d’abord directement aux parties en utilisant la méthode du « Jugement de Salomon » : deux femmes se présentent à lui avec deux enfants, l’un vivant, l’autre décédé, en plaidant chacune qu’elle est la mère de l’enfant vivant. La mère de l'enfant a été reconnue grâce au cri de ses entrailles : « Donnez-lui le bébé vivant, mais ne le tuez pas ! » tandis que la fausse mère s'est accusée en acceptant que l'enfant puisse être coupé en deux, comme le suggérait Salomon. On voit ainsi qu’en proposant une solution provocatrice, terrorisant les parties, le juge peut provoquer une conciliation. Par une méthode moins brutale, il peut rappeler la menace des aléas de la justice en agitant le spectre de l’échec selon un scénario rôdé : « je m’adresse aux deux parties…et je ne vous cache pas que, sans préjuger… ». Si ces remèdes de cheval n’ont pas encore porté leurs fruits, vient ensuite la pluie acide des malédictions, le juge rappelant à chaque partie que les conclusions adverses pourraient être allouées dans leur totalité et qu’elle devrait en outre payer des dépens, assumer la totalité des frais de justice et des frais d’expertise et attendre l’issue de recours en première, deuxième, troisième instance.
Le juge a l’habitude de s’adresser également aux avocats en les incitant à amener leur mandant à transiger « la solidité de leurs conclusions étant toute relative », critiques que le juge se croit autorisé à exprimer puisqu’il le fait aussi bien à l’adresse de l’avocat du demandeur qu’à celui du défendeur.
Pour Jean A. Mirimanoff et Sandra Vigneron-Maggio-Aprile, il y a quatre déroulements possibles de la conciliation :
-Les quasi-bons offices : "le conciliateur se contente de favoriser la reprise du dialogue en offrant aux parties un lieu et des conditions propices à la négociation mais sans s'y immiscer"
-La quasi-médiation : "le conciliateur aide les parties, par sa maïeutique, à exprimer leurs sentiments, leurs besoins et leurs intérêts pour leur permettre de rechercher et définir elles-mêmes leurs propres solutions"
-La quasi-amiable composition : "dans la mesure où les parties peinent à trouver leur propre solution et que le conciliateur en suggère ou propose une de son cru, en faisant la synthèse de ce qu'elles ont exprimé et en s'inspirant de l'équité, cette conciliation représente un cas de figure comparable, par certains traits, à l'amiable composition"
-La quasi-procédure : "dans la mesure où le conciliateur se borne à établir les faits (ou à faire une appréciation anticipée des preuves), à analyser le problème juridique dans le cadre strict de l'objet du litige et donne ensuite son opinion, le conciliateur se transforme en un juge, mais dépourvu de glaive"
Reprenons l’exemple de la table de Gandhi et imaginons un instant que l’un des associés ait ouvert action contre l’autre pour obtenir la table à la suite de la dissolution de leur association. Lors de la première audience, la méthode de Salomon conduira le juge conciliateur à menacer les deux parties de transformer la table de conférence en bois d’allumage de feu de cheminée, le juge humaniste proposera aux associés de céder la table à un tiers tel qu’une institution de droit public, le juge pragmatique incitera l’un des associés à accepter la somme colossale qui est proposée en cas de renonciation à l’attribution de la table plutôt que de risquer un jugement où la table serait de toute façon attribuée à l’autre partie au prix d’une table vendue en brocante.
2. Le jugement
Le jugement est, dans sa partie « En fait », la vérité judiciaire telle qu’elle aura pu être établie par le juge, en fonction de la valeur des preuves apportées par les parties, qu’il s’agisse de témoignages, de pièces, d’aveux ou d’expertises. Il ne s’agit donc pas de l’expression de la vérité mais simplement celle de la vérité judiciaire telle qu’elle a pu s’exprimer grâce à des règles strictes de procédure. Le jugement, relatant les « faits », donnera une définition positive de la position d’un des justiciables et négative de l’autre partie. Dans la partie « En droit » du jugement, le juge se contentera de détruire la version non conforme à l’analyse juridique qu’il fera des faits décrits ci-dessus et de relever en revanche la conformité au droit de la version de l’autre partie. Enfin, dans le dispositif, le jugement traitera des conclusions des parties, en les reprenant une à une pour soit les rejeter, soit les admettre, soit les admettre partiellement.
On ne peut s’empêcher de citer ici, pour définir le jugement, un texte quasi poétique :
«Et la pauvre balance du juge, d’instance en appel,
Ne sait où donner du fléau,
Et n’ayant pas le droit de donner également raison à deux thèses opposées,
Choisit, de guerre lasse, après un ou deux ans,
De tomber du côté où elle penche.
Et ce serait justice ? »
Le jugement doit être considéré comme la seule et unique solution envisageable, à l’exclusion de tout autre mode de règlement des conflits dans un certain nombre de cas, lorsque par exemple :
-il y a un intérêt de droit public à ce qu’un jugement soit rendu ;
-l'évolution du droit a besoin d’un jugement faisant jurisprudence ;
-une question de principe doit être jugée.
-l’une des parties n’a pas la capacité intellectuelle de participer à une médiation ou d’évaluer les termes d’un accord ;
-l’une des parties n’a pas la capacité psychologique de participer à une médiation ;
-il est impossible de signer un accord si ce dernier devait automatiquement par souci d’égalité s’appliquer à l’ensemble des ouvriers d’une entreprise.
Pour statuer sur l’attribution de la table de Gandhi et sur les conclusions respectives des associés (absolument identiques puisque chacun veut la table pour lui seul), le juge dans la partie « En fait » reprendra le résultat de la procédure probatoire. Il constatera d’abord les similitudes entre les associés qui ont financé la table en avançant chacun la moitié des quelques sous qui étaient demandés par le brocanteur, qui l’ont utilisée autant l’un que l’autre, jusqu'à la dissolution de l'association. Puis, après l’audition de témoins et l’examen de pièces (rares dans le cas de la table), il énumérera les faits qui permettent de différencier les associés, pour constater que l’un a personnellement travaillé à la restauration de la table, et que l’autre, par l’intermédiaire de son épouse, aura été à la source de cette affaire puisque c’est elle qui l’a dénichée et qui a compris la valeur d’un tel vestige dans un cabinet d’avocat. Dans la partie « En droit » seront énumérées les normes juridiques qui paraissent applicables à ce cas. La propriété légitime de la table de Gandhi peut-elle être reconnue à celui qui par l’intermédiaire de son épouse, l’a trouvée ou à celui qui a fait d’une table délabrée, un véritable bijou. Les conclusions seront totalement dévastatrices pour l’ex-associé qui ne recevra pas la table et qui en compensation aura en espèces sonnantes et trébuchantes, le prix d’un meuble banal de brocante, soit un montant sans commune mesure avec celui qui était proposé hors procédure par l’associé gagnant. Ce dernier évite des frais exorbitants pour l’acquisition de la table, se voit rembourser ses frais de justice et partiellement ses frais d’avocat. Il ressort triomphant.
3. La médiation
Pour définir la Médiation, nous ferons appel à divers textes :
- «La médiation est une méthode de résolution des difficultés relationnelles et en particulier des conflits. Elle peut être mise en œuvre par le biais d’une clause contractuelle au moment de la rédaction du contrat ou par la rédaction d'une convention entre des personnes en proie à un conflit ou enfin, elle peut s’inscrire dans un cadre judiciaire après l’ouverture d’une action par l’un des protagonistes. La médiation consiste à confier à un tiers impartial, qualifié et sans pouvoir de décision sur le fond, « le médiateur », la mission d’entendre les parties en conflit et de confronter leurs points de vue au cours d’entretiens, contradictoires ou non, afin de les aider à rétablir une communication et à trouver par elles-mêmes des accords mutuellement acceptables. La médiation est un « mode coopératif de prévention des conflits et de leur règlement amiable par les personnes ou les parties elles-mêmes, grâce au dialogue facilité par une personne qualifiée ».
- La directive 2008/52/CE du Parlement européen et du Conseil définit la médiation comme un «processus structuré (…) dans lequel deux ou plusieurs parties tentent par elles-mêmes, volontairement, de parvenir à un accord sur la résolution de leur litige avec l’aide d’un médiateur». Le « médiateur » est « tout tiers sollicité pour mener une médiation avec efficacité, impartialité et compétence ».
- Les Statuts de Gemme-Suisse définissent à leur article 4 alinéa 1, la médiation comme suit : « Par médiation il faut entendre, au sens des présents statuts : un processus formel de gestion de la communication, librement consenti par les parties, soutenu par un médiateur – non magistrat – indépendant, neutre et impartial librement désigné par les parties, processus au travers duquel les parties recherchent leur propre solution. »
Ces trois citations permettent de définir le médiateur, les médiés et la mission du médiateur. Le médiateur est un tiers impartial, neutre, indépendant, qualifié, sans pouvoir de décision au fond et sans pouvoir de donner des avis juridiques, soumis à la confidentialité. Les médiés sont volontaires tant en ce qui concerne l’entrée en médiation, la sortie au moment qui leur paraît adéquat, la solution qui peut être trouvée, le déroulement de la médiation et l’accord libre, éclairé, acceptable par tous qui sera finalement conclu. La mission du médiateur est d'aider les médiés à se confronter, s’expliquer, éclaircir les points de discorde, lever les malentendus. Il permet ainsi de rétablir le dialogue ou restaurer le contact entre les médiés, afin de les aider à trouver par eux-mêmes des accords, tout en les responsabilisant quant à la solution qui sera trouvée. On retrouve dans ces éléments essentiels de la définition de la médiation, la réponse donnée aux conflits quelle qu’en soit leur source. En réapprenant à dialoguer et à s’entendre, on perce les conflits inhérents à la communication. Lors de la confrontation, on permet de limer les conflits provoqués par la compétition et enfin en permettant à chacun d’exprimer son désir ou son besoin, on touche les conflits engendrés par la satisfaction d’un désir ou par l’expression d’une liberté.
La médiation intra-entreprise et inter-entreprises est essentielle pour éviter que la société soit dessaisie de son affaire et pour que les divers acteurs continuent à se sentir impliqués. Dans le cas contraire, elle devrait transférer le litige à son service juridique qui lui-même l’abandonne aux avocats et aux juges qui sont dans une méconnaissance du tissu économique et des enjeux socio-professionnels. La médiation peut apporter une solution à un grand nombre de conflits, particulièrement dans les relations économiques et commerciales. Pour Arnaud Stimec, il doit y avoir médiation en entreprise si l’on peut répondre de façon positive aux situations suivantes :
-aucune des parties n’a le pouvoir de trancher seule la question de manière pleinement satisfaisante.
-Les parties impliquées ont plus ou moins besoin l’une de l’autre pour avancer.
-Les parties se reconnaissent comme interlocuteurs pour l’enjeu considéré.
-Les enjeux du problème sont dans la sphère d’autonomie des personnes considérées et ne reposent pas exclusivement sur des décisions prises à un autre niveau.
-L’intervention d’un médiateur ne sera pas mal perçue dans l’entreprise aussi bien par la base que par la hiérarchie.
-L’intervention d’un tiers n’entraînera pas une dégradation ou une destruction de l’autorité.
-Le coût de la médiation (le temps du médiateur, sa rémunération éventuelle, la mobilisation de personnes sur leur temps de travail…) est raisonnable compte tenu des enjeux directs et indirects.
-Les deux parties ont intérêt à un arrangement négocié.
-Les parties auront ou souhaitent avoir des relations dans le futur. »
En complément à cette énumération, citons encore le cas où les parties ont besoin de confidentialité. Seule la médiation peut la leur offrir, puisque le médiateur y est soumis de façon absolue et puisque le principe de la confidentialité doit faire partie de l’engagement des médiés avant d’entamer la médiation.
La médiation est en revanche difficile - voire impossible - lors de confrontations mettant en présence des personnes qui n’ont ni la capacité intellectuelle, ni la capacité psychologique d’entrevoir une solution consensuelle et dont les perturbations sont telles qu’elles ne pourront pas acquérir ces capacités lors de la médiation. Par exemple, la médiation est impossible face à toute manifestation hystérique (le mot « hystérie » étant employé dans le sens d’hyper-émotivité, l’un des protagonistes – voire les deux – mettant en jeu définitivement l’émotion avant la réflexion) et dans le cas de discours paranoïaque, donc pathologique, qui empêche le rapprochement puisque « j’ai toujours raison et l’autre a toujours tort ». Tel est aussi le cas des pervers narcissiques que ne recherchent dans leur comportement qu’à provoquer la souffrance de la victime et non le règlement d’un conflit. Il y a chez eux, comme dirait Stoll : « La haine de l’amour ». Par ailleurs, avec les pervers narcissiques, le risque de séduction du médiateur n’est pas négligeable.
Reprenons l'exemple de la table de Gandhi en médiation : grâce au médiateur, les associés pourront peut-être constater qu’ils n’ont pas besoin et l’un et l’autre, de la table en tant que meuble installé dans leur future salle de conférence. Il est très possible qu’un seul des deux souhaite le meuble et que l’autre se contente de l’allusion à la table de Gandhi comme logo sur son papier à lettre ou comme référence à un passé professionnel. L’un des associés pourra peu à peu prendre de la distance et être moins obnubilé par son besoin de la table. Une médiation leur permettra donc d'arriver par eux-mêmes à trouver une solution dans laquelle chacun obtiendra pleine et entière satisfaction.