Médiation Concorde
Violaine Jaccottet Sherif
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Les sources du conflit


1. Le conflit engendré par le désir ou le besoin

Les relations humaines les plus normales peuvent générer un conflit dans la mesure où les personnes souhaitent la même chose au même moment. L’entrepreneur veut la totalité du marché de tel produit, l’héritier souhaite la totalité de la fortune de l’Oncle d’Amérique…. Le désir humain fait qu’un partage n’est pas envisageable et que le conflit éclate. Jacqueline Morineau écrit que : « L’instinct de protection du territoire est un élément fréquent du conflit, souvent caché sous des formes subtiles. Les conflits entre voisins sont souvent révélateurs à ce sujet. Il ne s’agit plus d’un espace géographique à défendre mais d’un espace qui devient synonyme d’espace de vie. Cette lutte est une notion dynamique qui nous porte au fil des années. Si le besoin en est le premier facteur, le désir en est souvent le moteur. Un homme sans désir est un homme mort. Mais ce désir va nous confronter nécessairement au désir de l’autre. Quand les deux désirs coïncident, il y a harmonie, quand ils s’opposent, il peut y avoir conflit. Le conflit naît quand notre désir est entravé par celui de l’autre. Nous sommes souvent peu conscients de la force de nos désirs qui agissent sur nous comme les fils qui actionnent les marionnettes… ». Le conflit est au centre de toute relation humaine puisqu’il résulte de l’expression de la liberté de chacun ou, selon la maxime : « Ma liberté s’arrête où commence celle des autres ». Il ne peut y avoir que conflit puisqu’il s’agit de défendre nos propres désirs face aux limites que nous impose l’expression des désirs de l’autre.

Une autre source de conflits est le désir de choses antinomiques. L’un souhaite de l’ombre sur sa terrasse en laissant pousser un baobab alors que l’autre n’entend, sous aucun prétexte, se voir boucher la vue sur le lac par la végétation du voisin. L’un a besoin de silence dès 22 heures, l’autre a besoin d’une vie sociale qui ne peut s’exercer que dès 22 heures compte tenu de ses horaires de travail. Le chef d’entreprise cherche à gérer les coûts, alors que l’ouvrier a un droit légitime à un salaire plus élevé, fruit de ses efforts. On peut à l’infini énumérer les besoins « égoïstes » qui peuvent entrer en conflit avec les besoins de l’autre. Le terme « égoïste » ne doit pas être compris de façon péjorative ; c'est l'expression d'un instinct de survie légitime de tout individu. Pour citer encore Jacqueline Morineau: « Le conflit naît de la rencontre de deux désirs contradictoires qui s’opposent et qui paraissent vitaux à ceux auxquels ils appartiennent. Cette confrontation aux désirs de l’autre constitue une limite à la réalisation des nôtres».

René Girard a attiré notre attention sur une autre source de conflits : le désir mimétique. A titre d'expérience simple, on met dans une pièce trois bambins de moins de quatre ans et pour qu'il y règne la paix, on y dispose trois jouets ; dans un premier temps, aucun enfant ne bouge mais dès que l'un d'eux prend un jouet, les deux autres se disent inconsciemment qu'il doit s'agir du plus beau puisqu'il a été choisi et il devient le jouet convoité par tous, provoquant dès lors un conflit. Dans le monde des adultes, ce mécanisme, basé sur l'envie, est tout aussi universel.

2. Le conflit inhérent à la communication

Thierry Garby distingue les conflits informationnels et les conflits relationnels. Les premiers sont dus au «Manque d’information, fausse information, avis différents sur la pertinence des informations, interprétations différentes des données, procédures différentes de validation de l’information. » Les seconds sont dus « … à une mauvaise communication entre les parties qui peut avoir plusieurs causes : antipathie entre les personnes, forte émotivité d’une ou de plusieurs des parties, difficultés techniques de communication, facteurs culturels empêchant la communication ou rendant les messages peu compréhensibles, mauvaise perception/interprétation de certains faits, attitudes ou messages, souvenirs d’attitudes négatives. »

La mauvaise communication est une mine : attaques personnelles, réactions en chaîne, insultes, émotions non gérées telles que la peur, la tristesse, la colère, la honte, le dégoût, la surprise. Par ailleurs, chacun réagit avec sa propre perception de la réalité alors que notre représentation de la réalité n’est pas la réalité, selon la formule d’Alfred Korzybski reprise très largement en PNL (Programmation Neuro Linguistique) : « Une carte n’est pas le territoire (A map is not the territory) ». Tant et aussi longtemps qu’on ne saura pas instaurer un rapport de carte à carte, le conflit inhérent à la communication persistera.

La technique du « téléphone arabe » est également une source de conflit liée à la communication et on ne peut s’empêcher de joindre l’histoire surréaliste d’un ingénieur qui, lors de son travail, a été mordu par un chat, ce qui a justifié une absence professionnelle de plusieurs semaines. Du récit du subalterne au chef de division, puis du directeur des études de projet à celui des Ressources humaines, celui qui parvient jusqu'aux oreilles du conseil d’administration pour prise de décision finale n'a strictement plus rien à voir avec l'incident banal du départ. A force d'avoir été déformé au gré des sensibilités ou des manipulations de chacun, l'entreprise a connu un conflit démesuré à la suite de ce qui n’était qu’un incident.

3. Le conflit provoqué par la compétition

La compétition est indéniablement source de conflits. Albert Jacquard va jusqu’à dire que « Chaque fois qu’on accepte la compétition, on accepte la barbarie ». On préfèrera la vision de Thierry Garby qui a une vision plus constructive de la compétition puisque pour lui, elle a permis à l’humanité de progresser : «L’activité économique concurrentielle est conflictuelle par essence. C’est indubitablement la plus dynamique. Celle qui produit le plus de richesses». On pourrait penser aussi que celui qui n’entre pas en compétition n’exerce pas sa liberté et se sous-estime. Pour Ivan Kaemenarovic : « Le conflit est pour nous, d’une façon très générale, perçu comme producteur d’énergie. Il s’agit donc de canaliser, puis d’utiliser à de bonnes fins l’énergie ainsi produite, de façon à ce qu’elle devienne une nourriture pour l’épanouissement de la vie. »

Il n'en reste pas moins que toute positive qu’elle soit, la compétition engendre des conflits tels qu’on les connait dans les litiges déférés devant un tribunal.

4. Un exemple de conflit engendré par le désir : la table de Gandhi

Il nous faut citer ici le cas pratique étudié lors de la formation de médiatrice, à savoir le cas dit de « la table de Gandhi ». Ce conflit peut être classé dans la catégorie des conflits inhérents à la satisfaction d’un désir. Cet exemple nous servira de fil conducteur tout au long de notre analyse. Il sera traité dans le cadre de la conciliation, du jugement et de la médiation afin de comparer ces modes de règlement des conflits.

Les faits peuvent ainsi être résumés :

Sam et Anil, amis de longue date, sont associés dans le cabinet d’avocats qu’ils ont créé et auquel ils ont donné une réputation internationale. En raison de leurs approches différentes concernant diverses questions de management, ils ont décidé qu’il était temps de mettre fin à leur collaboration professionnelle et ils ont réussi à négocier le partage de la clientèle, du personnel, de la bibliothèque, de l’équipement technique, de tous leurs biens … à l’exception de la table de conférence du cabinet d’avocat. En effet, ni l’un, ni l’autre, n’est prêt à céder la table devenue le symbole de leur association, connue tant de la clientèle que des confrères. L’aura particulière de cette table de conférence provient du fait qu’elle a appartenu au Mahatma Gandhi. Des photos anciennes le montrent rédigeant et signant à cette table ses textes les plus fameux sur la décolonisation de l’Inde, la non-violence et la liberté.

Quand Sam et Anil ont ouvert leur cabinet, l’épouse de Sam, amatrice de brocantes, d’antiquités et de ventes aux enchères, avait fait plusieurs bonnes trouvailles en achetant des bureaux, des fauteuils, des lampes, que les associés ont su se partager sans problème. Elle avait déniché la table alors qu'elle n'avait été remarquée par aucun autre acheteur d’antiquités, parce qu’elle avait été peinte et repeinte, voire même maltraitée… les pieds n’avaient même plus la même longueur. L’épouse de Sam avait tout de suite reconnu l’objet exceptionnel qu’elle est. Anil, bricoleur passionné, l’avait nettoyée en enlevant toutes les vieilles peintures ; il l’avait réparée, retouchée et lui avait rendu dès lors sa majesté d’antan. Les deux associés, fiers de leur table unique, la traitèrent avec une extrême délicatesse pendant les vingt années de leur association. Clients et visiteurs n’ont jamais manqué d’en commenter la rareté et la beauté.

Sam, son épouse et Anil, sont d’accord sur le fait que la valeur de la table est inappréciable. Par conséquent, ni Sam, ni Anil, ne sont prêts à la laisser partir dans un futur cabinet autre que le leur et aucun des deux ne se dit prêt à la vendre à son ancien associé, malgré les sommes considérables qu’ils se proposent mutuellement.


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